Tout Simenon
Retour à la listePedigree
roman- Ecrit à 1ère partie : Fontenay-le-Comte (Vendée), 17 décembre 1941, 2e partie : La Faute-sur-Mer (Vendée), avril 1942 ; 3e parties : Saint-Mesmin-le-Vieux (Vendée), 27 janvier 1943
décembre 1941 à janvier 1943 - Édition originale :
Presses de la Cité, 1948 - Disponible dans :
- Tout Simenon Tome 2
- Le Livre de Poche n° 14280
- Version numérique
Présentation
Désiré Mamelin, employé d'assurances, et sa jeune femme, Elise Peters, habitent un deux-pièces, rue Léopold, à Liège, où Elise met au monde un garçon, Roger, le 13 février 1903. Les deux époux, issus de la petite bourgeoisie commerçante et catholique, appartiennent chacun à une famille nombreuse dont le réseau absorbe presque entièrement leurs relations sociales. Chez les Mamelin, une vie patriarcale détermine des habitudes quasi rituelles auxquelles se conforme Désiré, optimiste, débonnaire, régulier en tout. Du côté Peters, le clan est moins stable, plus divisé. Différant d'un mari qu'elle juge trop peu sensible, Elise se montre dolente et larmoyante. Deux de ses sœurs sont hystériques. Son frère aîné, Léopold, le marginal de la famille, est buveur et anarchiste : c'est à partir de lui que se dessine l'aventure du jeune Félix Marette, recherché à Liège pour un attentat et obligé de fuir en France où il trouvera à se fixer, non sans mal. Le ménage Mamelin quitte son logement exigu pour un appartement rue Pasteur, puis pour une maison rue de la Loi. Elise réalise ainsi son rêve : prendre des locataires qui seront, au besoin, des pensionnaires ; en général, ce seront des étudiants étrangers (russes ou polonais). Entre-temps, Roger grandit, fait ses premières découvertes – images et sensations –, fréquente l'école des Sœurs, puis l'institut des Frères, toujours dans le quartier des Mamelin, sur la rive droite, en Outremeuse. La fin de ses classes primaires – il sort premier – coïncide avec le début de la guerre de 1914. Les pensionnaires d'Elise se sont dispersés. Roger entre en 6e latine, au collège Saint-Louis, chez les Jésuites. On le croit promis à la prêtrise. Mais, pendant les vacances qu'il passe à Embourg, dans la campagne liégeoise, une idylle avec une adolescente lui révèle la sexualité. Dorénavant, c'est au collège Saint-Servais, l'autre établissement des Jésuites fréquenté par les fils de la grande bourgeoisie, qu'il poursuivra ses études en section moderne-scientifique. Il a pris goût à la pipe et à la lecture des romans. La guerre amène d'autres changements. Les Mamelin ont déménagé pour la rue des Maraîchers, où Elise a renouvelé ses locataires : des officiers allemands plutôt discrets et une vieille fille qui exaspère Roger jusqu'à l’écœurement. La transformation de l'adolescent va s'opérer petit à petit, au hasard des rencontres, parfois douteuses, des curiosités, souvent malsaines, et sous l'influence d'une parenté où les oncles et tantes comptent moins que les cousins et cousines et leurs amis. Les restrictions se font sentir ; les plaisirs n'en deviennent que plus tentants qui incitent Roger à puiser dans la caisse d'un de ses oncles. Son émancipation lui attire des scènes orageuses avec sa mère. Il joue au jeune homme, fait à l'occasion du marché noir, se détache de ses études qu'il abandonne à la veille des examens de troisième, au moment où son père ressent les premières atteintes d'une angine de poitrine. Roger va donc chercher un emploi. Engagé chez un libraire qui tient un cabinet de lecture, il est bientôt congédié pour avoir contredit son patron. A peine a-t-il le temps de se sentir désœuvré que l'armistice éclate, semant dans la ville un délire de joie bruyante où il est entraîné, indifférent, presque malgré lui.
Les premières lignes…
Elle ouvre les yeux et pendant quelques instants, plusieurs secondes, une éternité silencieuse, il n'y a rien de changé en elle, ni dans la cuisine autour d'elle ; d'ailleurs, ce n'est plus une cuisine, c'est un mélange d'ombres et de reflets pâles, sans consistance ni signification. Les limbes, peut-être ? Y a-t-il eu un instant précis où les paupières de la dormeuse se sont écartées ? Ou bien les prunelles sont-elles restées braquées sur le vide comme l'objectif dont un photographe a oublié de rabattre le volet de velours noir ?